Phèdre, Jean Racine, 1677, acte I, scène 3 - L'aveu à Œnone

ŒNONE.

Parlez : je vous écoute.

PHÈDRE.

Ciel ! que lui vais-je dire ? et par où commencer ?

ŒNONE.

Par de vaines frayeurs cessez de m’offenser.

PHÈDRE.

Ô haine de Vénus ! ô fatale colère !
Dans quels égarements l’amour jeta ma mère !

ŒNONE.

Oublions-les, madame ; et qu’à tout l’avenir
Un silence éternel cache ce souvenir.

PHÈDRE.

Ariane, ma sœur ! de quel amour blessée
Vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée !

ŒNONE.

Que faites-vous, madame ? et quel mortel ennui
Contre tout votre sang vous anime aujourd’hui ?

PHÈDRE.

Puisque Vénus le veut, de ce sang déplorable
Je péris la dernière et la plus misérable.

ŒNONE.

Aimez-vous ?

PHÈDRE.

De l’amour j’ai toutes les fureurs.

ŒNONE.

Pour qui ?

PHÈDRE.

Tu vas ouïr le comble des horreurs…
J’aime… À ce nom fatal, je tremble, je frissonne.
J’aime…

ŒNONE.

Qui ?

PHÈDRE.

Tu connais ce fils de l’Amazone,
Ce prince si longtemps par moi-même opprimé…

ŒNONE.

Hippolyte ? Grands dieux !

PHÈDRE.

C’est toi qui l’as nommé !

ŒNONE.

Juste ciel ! tout mon sang dans mes veines se glace !
Ô désespoir ! ô crime ! ô déplorable race !
Voyage infortuné ! Rivage malheureux,
Fallait-il approcher de tes bords dangereux !

PHÈDRE.

Mon mal vient de plus loin. À peine au fils d’Égée
Sous les lois de l’hymen je m’étais engagée,
Mon repos, mon bonheur semblait être affermi ;
Athènes me montra mon superbe ennemi :
Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ;
Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue ;
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ;
Je sentis tout mon corps et transir et brûler :
Je reconnus Vénus et ses feux redoutables,
D’un sang qu’elle poursuit tourments inévitables !
Par des vœux assidus je crus les détourner :
Je lui bâtis un temple, et pris soin de l’orner ;
De victimes moi-même à toute heure entourée,
Je cherchais dans leurs flancs ma raison égarée :
D’un incurable amour remèdes impuissants !
En vain sur les autels ma main brûlait l’encens !
Quand ma bouche implorait le nom de la déesse,
J’adorais Hippolyte ; et, le voyant sans cesse,
Même au pied des autels que je faisais fumer,
J’offrais tout à ce dieu que je n’osais nommer.

Phèdre, Racine, 1677, acte I, scène 3

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